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CHRONIQUES DE J. FROISSART.

qu’il en dît la vérité, car il le cuidoit au fort. Il répondit qu’il ne savoit et qu’il étoit parti du fort plus avoit de douze jours. Adonc devinèrent les seigneurs qu’il étoit allé au pourchas : on le fit mener arrière, et les compagnons qui avecques lui avoient été pris. Là demanda le vicomte aux chevaliers d’Auvergne quelle chose il étoit bon à faire de ce Guyot et de ses compagnons, et que il en vouloit user par leur conseil. Messire Guillaume le Boutillier répondit et dit : « Certes, sire, je suppose que Aimerigot soit allé au secours et réveiller les compagnons des garnisons en Pierregord et en Pierreguis. Car toujours trouvera, quoique trèves sont, qui s’aventurera volontiers pour mal faire. Et pourroit avenir que il viendroit sur nous de soir ou de matin avant que nous en sçussions rien ; et nous pourroit porter contraire ou dommage ; car Aimerigot est moult subtil, et si est de grand pourchas. Si faisons une chose. Disons à ce Guyot du Scel et à ceux qui sont avecques lui qu’ils nous fassent rendre le fort de la Roche de Vendais, ou nous leur ferons trancher les têtes sans déport ; laquelle chose, s’ils ne veulent faire, ils ne soient point épargnés. » — « Ce conseil est bon, répondit le vicomte, car au voire dire, pour avoir ce fort sommes-nous venus en ce pays ; si nous n’avons Aimerigot Marcel maintenant, une autre fois viendra-t-il à point. »

Adonc s’appareillèrent le vicomte, le sire de la Tour, messire Robert Dauphin, messire Guillaume le Boutillier et les autres, et vinrent devant le fort au plus près qu’ils purent, et là furent amenés Guyot du Scel et les autres. Le vicomte ouvrit la parole et leur dit et adressa, premièrement à Guyot pourtant que il étoit capitaine : « Guyot, vous devez savoir, et tous ceux qui ci sont des vôtres, que nous vous ferons tous trancher les têtes sans déport, si vous ne nous faites rendre le fort de la Roche de Vendais ; et là où vous nous le rendrez, nous vous lairrons aller quittes et délivrés. Or avisez laquelle part vous voulez, ou la mort ou la vie. »

De celle parole furent Guyot et ses compagnons tout ébahis, et regardèrent que trop mieux leur valoit sauver leurs vies que mourir. Guyot du Scel répondit et dit : « Sire, je me mettrai en peine. » Adonc vint-il jusques à la barrière et fit tant qu’il parla à ceux qui dedans le fort étoient ; ils trairont avant. Or sachez que cils qui au fort étoient se tenoient jà pour tous déconfits. Ils ne savoient de qui faire capitaine, puisqu’ils avoient perdu leurs deux maîtres et les meilleurs de leurs compagnons. Si que tantôt que Guyot du Scel parla à eux et traita, ils furent d’accord et conseillés de rendre le fort, par condition telle que ils emporteroient tout le leur, ce que porter en pourroient, et auroient répit bon et sur un mois entier pour eux traire là où mieux il leur plairoit. Tout ce leur fut accordé, écrit et scellé. Ainsi eurent les François la Roche de Vendais et par la bonne aventure de l’escarmouche ; et pour ce dit-on : « toutes fortunes, bonnes et males, aviennent en armes, qui les poursuit. »

Quand la Roche de Vendais fut rendue aux seigneurs de France et d’Auvergne qui assiégée l’avoient, vous devez savoir que ceux du pays environ en furent grandement réjouis. On tint à Guyot du Scel et aux autres moult bien tout ce que on leur avoit promis. Quand ils eurent pris ce que porter en purent et voulurent, on leur donna congé et vraies assurances qui duroient un mois, pour aller là où mieux leur plaisoit. Le vicomte de Meaux et les seigneurs abandonnèrent la Roche de Vendais à ceux du pays, lesquels entendirent tantôt à désemparer, rompre et briser, tellement qu’il n’y demeura muraille entière ni habitation nulle, ni pierre l’une sur l’autre ; tout fut renversé et porté par terre. Les François qui là étoient venus au service du roi, avec le vicomte, prirent congé aux chevaliers et écuyers d’Auvergne et eux à eux, et se départirent les uns des autres, et retournèrent ceux d’Auvergne et de Limousin en leurs maisons. Le vicomte de Meaux donna congé de retourner en Picardie une quantité de ses gens ; et il s’en alla devers la Rochelle, et s’en vint loger à Saint-Jean d’Angely pour garder la frontière, car encore y avoit-il des pillards et robeurs, qui couroient à la fois en Xaintonge, quand ils véoient leur plus bel. Si leur vouloit aller au devant, car il y étoit tenu.

En la forme et manière que vous m’avez ouï recorder, fut pris et conquis ce nouveau fort la Roche de Vendais et mis à exécution, dont tout le pays fut moult réjoui ; et en furent les bonnes gens plus à sûr ; car au voire dire, si il fût demeuré, il leur eût porté trop de dommages et de contraires. Les nouvelles de la prise et du