Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/167

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prisa le plus, fut le reste d’un plat de petits pois48, sur lequel il se jetta, qui avoit plus cousté que n’auroit fait la terre sur laquelle on en auroit recueilly un muid. Le bon traittement, et la credulité qu’il eut aux paroles de son camarade le desbaucherent, car il ne marchanda point pour entrer au service de cette dame, qui, dès qu’elle l’eust veu, le voulut avoir pour luy porter la queuë. C’est ainsi qu’il quitta cette spirituelle maistresse sans luy dire adieu. Elle eut grand regret de n’avoir pas pris de luy un répondant, parce qu’elle luy auroit fait payer la valeur de certains vers que ce petit voleur luy avoit emportez, dont elle n’avoit point gardé de coppie. Quant à la nouvelle maistresse, il en fut tellement chery, qu’elle chercha toutes les inventions imagina-


48. C’étoit un grand luxe alors. Les primeurs surtout étoient du plus haut prix. On peut lire à ce sujet le Jardinier françois de Bonnefonds, valet de chambre du Roy, Paris, 1651, in-12. Dans la comédie de de Visé, les Côteaux ou les Friands marquis, jouée en 1665, l’un des personnages ne veut manger les petits pois qu’à cent francs le litron. Encore étoit-ce peu ; d’après une Vie de Colbert, imprimée en 1693, on alloit jusqu’à cinquante écus. C’étoit une fureur. « Le chapitre des pois dure toujours, écrit madame de Maintenon sous la date du 10 mai de cette même année 1696 ; l’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours. Il y a des dames qui, après avoir soupé avec le roi, et bien soupé, trouvent des pois chez elles pour manger avant de se coucher, au risque d’une indigestion. C’est une mode, une fureur, et l’une suit l’autre. » Dans les cadeaux, fête qu’un amant donnoit à sa maltresse (V. École des maris, acte 1, sc. 1), les petits pois étoient de rigueur.