Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/310

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faire un almanach historial des jours de nopce et de grands festins où il avoit assisté, et qu’il avoit marqué à part ces jours-là dans son calendrier, comme les jours heureux ou malheureux revelez au bon Joseph.

Il falloit (interrompit Collantine) que cet homme fust bien miserable, puisqu’il ne pouvoit vivre sans escornifler : car c’est, à mon sens, le dernier des métiers, et indigne d’un homme qui a du pain et de l’eau. Ce ne seroit pas là une bonne consequence (dit Charroselles) : car il y a bien des marquis et des gens accommodés qui ne se font point de scrupule d’estre escornifleurs habituez à certaines bonnes tables, et j’ay veu souvent nostre pauvre Mythophilacte se plaindre de ce desordre. Car (disoit-il), sous pretexte que ces gens ont quelque capacité ou expérience sur le chapitre des sauces, et qu’ils prétendent avoir le goust fin, ils croyent avoir droit d’aller censurer les meilleures tables de la ville, qui ne peuvent estre en reputation de friandes et de delicates, si elles n’ont leur approbation ; jusques-là qu’il soustenoit quelquefois que ces gens estoient des larrons et des sacriléges, qui deroboient et venoient manger le pain des pauvres. Pour luy, qui n’y alloit point par goinfrerie, mais par nécessité, je ne puis que je ne l’excuse : car comment pourroit vivre autrement un autheur qui n’a point de patrimoine ? il auroit beau travailler nuit et jour, dès qu’il est à la mercy des libraires, il ne peut gagner avec eux de l’eau pour boire.

Il me souvient de l’avoir veu une fois en une grande peine. Je le trouvay en place de Sorbonne querellant avec un autre autheur, qui, entr’autres injures, luy reprocha tout haut qu’il étoit un caymand de gloire, et