Page:Fusil - Souvenirs d’une actrice, Tome 2, 1841.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
308
souvenirs d’une actrice.

Je datai cette série de jours malheureux, du 6 novembre 1812 ; c’était un vendredi, et nous étions très près de Smolensko. L’officier dans la voiture duquel j’étais partie, avait donné l’ordre à son cocher d’y arriver le soir. C’était un Polonais, le plus lent et le plus maladroit que j’aie jamais rencontré. Il passa toute la nuit, à ce qu’il dit, à aller au fourrage, et laissa ses chevaux se geler à leur aise. Lorsqu’il voulut les faire marcher, ils ne pouvaient plus remuer les jambes ; de sorte que nous en perdîmes deux : ces deux-là une fois morts, il nous fut impossible d’avancer avec les trois autres. Nous restâmes à l’entrée d’un pont extrêmement encombré, jusqu’au samedi 7. Je réfléchis au parti que je pourrais prendre, et je me décidai, aussitôt qu’il ferait jour, à abandonner la calèche et à traverser le pont à pied, pour aller demander du secours ou une place dans une autre voiture, au général qui commandait de l’autre côté du pont, mais en ouvrant le vasistas, le cocher me dit qu’il avait trouvé deux chevaux. Je pensai bien qu’il les avait volés, mais dans ce malheureux temps, rien n’était plus commun ; on se dérobait réciproquement toutes les