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souvenirs d’une actrice.

dommageait, en quelque sorte, des souffrances que j’éprouvais journellement. Je leur racontais assez gaîment mes désastres ; et la manière dont je prenais mon parti les engageait à imiter ma philosophie. Nous songions au temps où nous reverrions nos familles, et où nous pourrions trouver à manger, car c’était l’affaire principale. J’ai vécu de chocolat et de sucre pendant un mois. « Pour peu que cela dure, leur disais-je, vous me ramènerez comme Vert-Vert : vous m’aurez nourri de bonbons, et j’entends jurer dans toutes les langues. »

Nous arrivâmes à Vilna, le 9 décembre, à onze heures du soir ; les portes de la ville étaient tellement encombrées par la foule qui se pressait, croyant atteindre à la terre promise, que nous eûmes toutes les peines du monde à la traverser. Ce fut là que périrent presque tous les Français de Moscou, qui, luttant contre le froid et la faim, ne purent pénétrer dans la ville. Ceux qui échappèrent étaient si changés et si vieillis, que six semaines après j’avais peine à les reconnaître. Nous allâmes loger chez la comtesse de Kasakoska, où M. le duc de Dantzick avait logé à son premier passage ; mais la maison était