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LIVRE III. LA CITÉ.

la religion même s’appliquant aux relations des hommes entre eux.

Les anciens disaient que leurs lois leur étaient venues des dieux. Les Crétois attribuaient les leurs, non à Minos, mais à Jupiter ; les Lacédémoniens croyaient que leur législateur n’était pas Lycurgue, mais Apollon. Les Romains disaient que Numa avait écrit sous la dictée d’une des divinités les plus puissantes de l’Italie ancienne, la déesse Égérie. Les Étrusques avaient reçu leurs lois du dieu Tagès. Il y a du vrai dans toutes ces traditions. Le véritable législateur chez les anciens, ce ne fut pas l’homme, ce fut la croyance religieuse que l’homme avait en soi.

Les lois restèrent longtemps une chose sacrée. Même à l’époque où l’on admit que la volonté d’un homme ou les suffrages d’un peuple pouvaient faire une loi, encore fallait-il que la religion fût consultée et qu’elle fût au moins consentante. À Rome on ne croyait pas que l’unanimité des suffrages fût suffisante pour qu’il y eût une loi ; il fallait encore que la décision du peuple fût approuvée par les pontifes et que les augures attestassent que les dieux étaient favorables à la loi proposée[1]. Un jour que les tribuns plébéiens voulaient faire adopter une loi par une assemblée des tribus, un patricien leur dit : « Quel droit avez-vous de faire une loi nouvelle ou de toucher aux lois existantes ? Vous qui n’avez pas les auspices, vous qui dans vos assemblées n’accomplissez pas d’actes religieux, qu’avez-vous de commun avec la religion et toutes les choses sacrées, parmi lesquelles il faut compter la loi[2] ? »

On conçoit d’après cela le respect et l’attachement que

  1. Denys, IX, 41 ; IX, 49.
  2. Denys, X, 4. Tite-Live, III, 31.