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CH. XV. LE DROIT DES GENS.

au milieu d’elle ses statues, son autel, ses enseignes qui sont des emblèmes sacrés ; chacune a ses oracles qui lui ont promis le succès, ses augures et ses devins qui lui assurent la victoire. Avant la bataille, chaque soldat dans les deux armées pense et dit comme ce Grec dans Euripide : « Les dieux qui combattent avec nous sont plus forts que ceux qui sont avec nos ennemis. » Chaque armée prononce contre l’armée ennemie une imprécation dans le genre de celle dont Macrobe nous a conservé la formule : « O dieux, répandez l’effroi, la terreur, le mal parmi nos ennemis. Que ces hommes et quiconque habite leurs champs et leur ville, soient par vous privés de la lumière du soleil. Que cette ville et leurs champs, et leurs têtes et leurs personnes, vous soient dévoués. » Cela dit, on se bat des deux côtés avec cet acharnement sauvage que donne la pensée qu’on a des dieux pour soi et qu’on combat contre des dieux étrangers. Pas de merci pour l’ennemi ; la guerre est implacable ; la religion préside à la lutte et excite les combattants. Il ne peut y avoir aucune règle supérieure qui tempère le désir de tuer ; il est permis d’égorger les prisonniers, d’achever les blessés.

Même en dehors du champ de bataille, on n’a pas l’idée d’un devoir, quel qu’il soit, vis-à-vis de l’ennemi. Il n’y a jamais de droit pour l’étranger ; à plus forte raison n’y en a-t-il pas quand on lui fait la guerre. On n’a pas à distinguer à son égard le juste et l’injuste. Mucius Scævola et tous les Romains ont cru qu’il était beau d’assassiner un ennemi. Le consul Marcius se vantait publiquement d’avoir trompé le roi de Macédoine. Paul-Émile vendit comme esclaves cent mille Épirotes qui s’étaient remis volontairement dans ses mains.