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CH. III. LE FEU SACRÉ.

heur. Une de ces prières qui nous a été conservée dans le recueil des hymnes orphiques, est conçue ainsi : « Rends-nous toujours florissants, toujours heureux, o foyer ; o toi qui es éternel, beau, toujours jeune, toi qui nourris, toi qui es riche, reçois de bon cœur nos offrandes, et donne-nous en retour le bonheur et la santé qui est si douce[1]. » Ainsi on voyait dans le foyer un dieu bienfaisant qui entretenait la vie de l’homme, un dieu riche qui le nourrissait de ses dons, un dieu fort qui protégeait la maison et la famille. En présence d’un danger on cherchait un refuge auprès de lui. Quand le palais de Priam est envahi, Hécube entraîne le vieux roi près du foyer ; « tes armes ne sauraient te défendre, lui dit-elle ; mais cet autel nous protégera tous[2]. »

Voyez Alceste qui va mourir, donnant sa vie pour sauver son époux. Elle s’approche de son foyer et l’invoque en ces termes : « O divinité, maîtresse de cette maison, c’est la dernière fois que je m’incline devant toi, et que je t’adresse mes prières ; car je vais descendre où sont les morts. Veille sur mes enfants qui n’auront plus de mère ; donne à mon fils une tendre épouse, à ma fille un noble époux. Fais qu’ils ne meurent pas comme moi avant l’âge, mais qu’au sein du bonheur ils remplissent une longue existence[3]. » Dans l’infortune l’homme s’en prenait à son foyer et lui adressait des reproches ; dans le bonheur il lui rendait grâces. Le soldat qui revenait de la guerre le remerciait de l’avoir fait échapper aux périls. Eschyle nous représente Agamem-

  1. Hymnes orph., 84. Plaute, Captiv., II, 2. Tibulle, I, 9, 74. Ovide, A. A., I, 637. Pline, Hist. nat., XVIII, 3.
  2. Virgile, En., II, 523. Horace, Epit., I, 5. Ovide, Trist., IV, 8, 21. Perse, Sat., V, 31.
  3. Euripide, Alcest., 162-168.