Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1864.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LIVRE I. ANTIQUES CROYANCES.

geait contre le contact et même le regard des profanes. Les Romains le cachaient au milieu de leur maison. Tous ces dieux, foyer, Lares, Mânes, on les appelait les dieux cachés, θεοὶ μύχιοι, ou les dieux de l’intérieur, dii Penates[1]. Pour tous les actes de cette religion il fallait le secret ; sacrificia occulta, dit Cicéron[2] ; qu’une cérémonie fut aperçue par un étranger, elle était troublée, souillée, funestée par ce seul regard.

Pour cette religion domestique, il n’y avait ni règles uniformes, ni rituel commun. Chaque famille avait l’indépendance la plus complète. Nulle puissance extérieure n’avait le droit de régler son culte ou sa croyance. Il n’y avait pas d’autre prêtre que le père ; comme prêtre, il ne connaissait aucune hiérarchie. Le pontife de Rome ou l’archonte d’Athènes pouvait bien s’assurer que le père de famille accomplissait tous ses rites religieux, mais il n’avait pas le droit de lui commander la moindre modification. Suo quisque ritu sacrificia faciat, telle était la règle absolue[3]. Chaque famille avait ses cérémonies qui lui étaient propres, ses fêtes particulières, ses formules de prière et ses hymnes[4]. Le père, seul interprète et seul pontife de sa religion, avait seul le pouvoir de l’enseigner, et ne pouvait l’enseigner qu’à son fils. Les rites, les termes de la prière, les chants, qui faisaient partie essentielle de cette religion domestique, étaient un patrimoine, une propriété sacrée, que la famille ne partageait avec personne et qu’il était même interdit de révéler aux étrangers. Il en était ainsi dans l’Inde : « Je suis fort contre mes ennemis, dit le brah-

  1. Cic., De nat. deor., II, 27.
  2. Cic., De arusp. resp., 17.
  3. Varron, De ling. lat., VII, 88.
  4. Hésiode, Opera, 753. Macrobe, Sat., I, 10. Cic., De legib., II, 11.