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LIVRE II. LA FAMILLE.

Entre la partie vivante et la partie morte de la famille, il n’y a que cette distance de quelques pas qui sépare la maison du tombeau. À certains jours, qui sont déterminés pour chacun par sa religion domestique, les vivants se réunissent auprès des ancêtres. Ils leur portent le repas funèbre, leur versent le lait et le vin, déposent les gâteaux et les fruits, ou brûlent pour eux les chairs d’une victime. En échange de ces offrandes, ils réclament leur protection ; ils les appellent leurs dieux, et leur demandent de rendre le champ fertile, la maison prospère, les cœurs vertueux.

Le principe de la famille antique n’est pas uniquement la génération. Ce qui le prouve, c’est que la sœur n’est pas dans la famille ce qu’y est le frère, c’est que le fils émancipé ou la fille mariée cesse complétement d’en faire partie, ce sont enfin plusieurs dispositions importantes des lois grecques et romaines que nous aurons l’occasion d’examiner plus loin.

Le principe de la famille n’est pas non plus l’affection naturelle. Car le droit grec et le droit romain ne tien-

    curcies. Les mots τάφος πατρῴος, τάφος τῶν προγόνων reviennent sans cesse chez les Grecs, comme chez les Latins tumulus patrius ou avitus, sepulcrum gentis. Voyez Hérodote, II, 136. Démosth., in Eubul., 28 ; in Macart., 79. Lycurg., in Leocr., 25. Cic., De offic., I, 17 : monumenta majorum, sepulcra communia. Cic., De legib., II, 22 : mortuum extra gentem inferri fas negant. Ovide, Trist., IV, 3, 45. Velleius, II, 119. Suétone, Néron, 50 ; Tibère, 1. Digeste, XI, 5 ; XVIII, 1, 6. Il y a une vieille anecdote qui prouve combien on jugeait nécessaire que chacun fût enterré dans le tombeau de sa famille. On raconte que les Lacédémoniens, sur le point de combattre contre les Messéniens, attachèrent à leur bras droit des marques particulières contenant leur nom et celui de leur père, afin qu’en cas de mort le corps pût être reconnu sur le champ de bataille et transporté au tombeau paternel. Justin, III, 5. Voy. Eschyle, Sept., 889 (914), τάφων πατρῴων λάχαι. Les orateurs grecs attestent fréquemment cet usage ; quand Isée, Lysias, Démosthènes veulent prouver que tel homme appartient à telle famille et a droit à l’héritage, ils ne manquent guère de dire que le père de cet homme est enterré dans le tombeau de cette famille.