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cet ancien isolement de l’homme dans la prière. Au temps de Plutarque on disait encore à l’égoïste : tu sacrifies au foyer[1]. Cela signifiait : tu t’éloignes de tes concitoyens, tu n’as pas d’amis, tes semblables ne sont rien pour toi, tu ne vis que pour toi et les tiens. Ce proverbe était l’indice d’un temps où toute religion était autour du foyer, où l’horizon de la morale et de l’affection ne dépassait pas le cercle étroit de la famille.

Il est naturel que l’idée morale ait eu son commencement et ses progrès comme l’idée religieuse. Le dieu des premières générations, dans cette race, était bien petit ; peu à peu les hommes l’ont fait plus grand ; ainsi la morale, fort étroite d’abord et fort incomplète, s’est insensiblement élargie jusqu’à ce que, de progrès en progrès, elle arrivât à proclamer le devoir d’amour envers tous les hommes. Son point de départ fut la famille, et c’est sous l’action des croyances de la religion domestique que les devoirs ont apparu d’abord aux yeux de l’homme.

Qu’on se figure cette religion du foyer et du tombeau, à l’époque de sa pleine vigueur. L’homme voit tout près de lui la divinité. Elle est présente, comme la conscience même, à ses moindres actions. Cet être fragile se trouve sous les yeux d’un témoin qui ne le quitte pas. Il ne se sent jamais seul. À côté de lui, dans sa maison, dans son champ, il a des protecteurs pour le soutenir dans les labeurs de la vie et des juges pour punir ses actions coupables. « Les Lares, disent les Romains, sont des divinités redoutables qui sont chargées de châtier les humains et de veiller sur tout ce qui se passe dans l’intérieur des maisons.  » – « Les Pénates, disent-ils encore, sont les dieux qui nous font vivre ; ils nourrissent notre corps et règlent notre âme[2]. »

  1. Εστία θύεις, Pseudo-Plutarch., édit. Dubner, V, 167
  2. Plutarque, Quest. rom., 51. Macrobe, Sat. III, 4.