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d’un père qui peut le vendre et le condamner à mort. Mais ce fils a son rôle aussi dans le culte ; il remplit une fonction dans les cérémonies religieuses ; sa présence, à certains jours, est tellement nécessaire que le Romain qui n’a pas de fils est forcé d’en adopter un fictivement pour ces jours-là, afin que les rites soient accomplis[1]. Et voyez quel lien puissant la religion établit entre le père et le fils ! On croit à une seconde vie dans le tombeau, vie heureuse et calme si les repas funèbres sont régulièrement offerts. Ainsi le père est convaincu que sa destinée après cette vie dépendra du soin que son fils aura de son tombeau, et le fils, de son côté, est convaincu que son père mort deviendra un dieu et qu’il aura à l’invoquer.

On peut deviner tout ce que ces croyances mettaient de respect et d’affection réciproque dans la famille. Les anciens donnaient aux vertus domestiques le nom de piété : l’obéissance du fils envers le père, l’amour qu’il portait à sa mère, c’était de la piété, pietas erga parentes ; l’attachement du père pour son enfant, la tendresse de la mère, c’était encore de la piété, pietas erga liberos. Tout était divin dans la famille. Sentiment du devoir, affection naturelle, idée religieuse, tout cela se confondait et ne faisait qu’un.

Il paraîtra peut-être bien étrange de compter l’amour de la maison parmi les vertus ; c’en était une chez les anciens. Ce sentiment était profond et puissant dans leurs âmes. Voyez Anchise qui, à la vue de Troie en flammes, ne veut pourtant pas quitter sa vieille demeure. Voyez Ulysse à qui l’on offre tous les trésors et l’immortalité même, et qui ne veut que revoir la flamme de son foyer. Avançons jusqu’à Cicéron ; ce n’est plus un poëte, c’est un homme d’État qui parle : « Ici est ma religion, ici est ma

  1. Denys d’Halicarnasse, II, 20, 22.