Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/179

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mémoire, car ils faisaient partie de la religion, et ils étaient rappelés chaque année dans les cérémonies sacrées.

On a conservé le souvenir d’un grand nombre de poëmes grecs qui avaient pour sujet la fondation d’une ville. Philochore avait chanté celle de Salamine, Ion celle de Chio, Criton celle de Syracuse, Zopyre celle de Milet ; Apollonius, Hermogène, Hellanicus, Dioclès avaient composé sur le même sujet des poëmes ou des histoires. Peut-être n’y avait-il pas une seule ville qui ne possédât son poëme ou au moins son hymne sur l’acte sacré qui lui avait donné naissance.

Parmi tous ces anciens poèmes, qui avaient pour objet la fondation sainte d’une ville, il en est un qui n’a pas péri, parce que si son sujet le rendait cher à une cité, ses beautés l’ont rendu précieux pour tous les peuples et tous les siècles. On sait qu’Énée avait fondé Lavinium, d’où étaient issus les Albains et les Romains, et qu’il était par conséquent regardé comme le premier fondateur de Rome. Il s’était établi sur lui un ensemble de traditions et de souvenirs que l’on trouve déjà consignés dans les vers du vieux Nævius et dans les histoires de Caton l’Ancien. Virgile s’empara de ce sujet et écrivit le poëme national de la cité romaine.

C’est l’arrivée d’Énée, ou plutôt c’est le transport des dieux de Troie en Italie qui est le sujet de l’Enéide. Le poëte chante cet homme qui traversa les mers pour aller fonder une ville et porter ses dieux dans le Latium,

dum conderet urbem
Inferretque Deos Latio.

Il ne faut pas juger l’Éneide avec nos idées modernes. On se plaint souvent de ne pas trouver dans Ènée l’audace, l’élan, la passion. On se fatigue