Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/190

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les invoquait dans le danger, on les remerciait d’une victoire. Souvent aussi on s’en prenait à eux d’une défaite ; on leur reprochait d’avoir mal rempli leur office de défenseurs de la ville. On allait quelquefois jusqu’à renverser leurs autels et jeter des pierres contre leurs temples.[1]

Ordinairement ces dieux se donnaient beaucoup de peine pour la ville dont ils recevaient un culte ; et cela était bien naturel ; ces dieux étaient avides d’offrandes et ils ne recevaient de victimes que de leur ville. S’ils voulaient la continuation des sacrifices et des hécatombes, il fallait bien qu’ils veillassent au salut de la cité.[2] Voyez dans Virgile comme Junon « fait effort et travaille » pour que sa Carthage obtienne un jour l’empire du monde. Chacun de ces dieux, comme la Junon de Virgile, avait à cœur la grandeur de sa cité. Ces dieux avaient mêmes intérêts que les hommes leurs concitoyens. En temps de guerre, ils marchaient au combat au milieu d’eux. On voit dans Euripide un personnage qui dit, à l’approche d’une bataille : « Les dieux qui combattent avec nous valent bien ceux qui sont du côté de nos ennemis.[3] » Jamais les Éginètes n’entraient en campagne sans emporter avec eux les statues de leurs héros nationaux, les Éacides. Les Spartiates emmenaient dans toutes leurs expéditions les Tyndarides.[4] Dans la mêlée, les dieux et les citoyens se soutenaient réciproquement, et quand on était vainqueur, c’est que tous avaient fait leur devoir.

Si une ville était vaincue, on croyait que ses dieux étaient vaincus avec elle.[5] Si une ville était prise, ses dieux eux-mêmes étaient captifs.

  1. Suétone, Calig., 5 ; Sénèque, De vita beata, 36.
  2. Cette pensée se voit souvent chez les anciens. Théognis, 759 (Welcker).
  3. Euripide, Héracl., 347.
  4. Hérodote, V, 65 ; V, 80.
  5. Virgile, Én., I, 68.