Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/250

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d’une divinité de l’univers, ce n’était pas celle-là qu’ils considéraient comme leur Providence et qu’ils invoquaient. Les dieux de chaque homme étaient ceux qui habitaient sa maison, son canton, sa ville. L’exilé, en laissant sa patrie derrière lui, laissait aussi ses dieux. Il ne voyait plus nulle part de religion qui pût le consoler et le protéger ; il ne sentait plus de providence qui veillât sur lui ; le bonheur de prier lui était ôté. Tout ce qui pouvait satisfaire les besoins de son âme était éloigné de lui.

Or la religion était la source d’où découlaient les droits civils et politiques. L’exilé perdait donc tout cela en perdant la religion de la patrie. Exclu du culte de la cité, il se voyait enlever du même coup son culte domestique et il devait éteindre son foyer.[1] II n’avait plus de droit de propriété ; sa terre et tous ses biens, comme s’il était mort, passaient à ses enfants, à moins qu’ils ne fussent confisqués au profit des dieux ou de l’État.[2] N’ayant plus de culte, il n’avait plus de famille ; il cessait d’être époux et père. Ses fils n’étaient plus en sa puissance[3] ; sa femme n’était plus sa femme[4], et elle pouvait immédiatement prendre un autre époux. Voyez Régulus, prisonnier de l’ennemi, la loi romaine l’assimile à un exilé ; si le Sénat lui demande son avis, il refuse de le donner, parce que l’exilé n’est plus sénateur ; si sa femme et ses enfants courent à lui, il repousse leurs embrassements, car pour l’exile il n’y a plus d’enfants, plus d’épouse :


Fertur pudicæ conjugis osculum
Parvosque natos, ut capitis minor,
A se removisse.[5]

  1. Ovide, Tristes, I, 3, 43.
  2. Pindare, Pyth., IV, 517. Platon, Lois, IX, 877. Diodore, XIII, 49. Denys, XI, 46. Tite-Live, III, 58.
  3. Institutes, I, 12. Gaius, I, 128.
  4. Denys, VIII, 41.
  5. Horace, Odes, III.