Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/323

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mis d’invoquer. Quitter cette famille, c’était se placer en dehors de toute organisation sociale et de tout droit ; c’était perdre ses dieux et renoncer au droit de prier.

Mais la cité étant fondée, les clients des différentes familles pouvaient se voir, se parler, se communiquer leurs désirs ou leurs rancunes, comparer les différents maîtres et entrevoir un sort meilleur. Puis leur regard commençait à s’étendre au delà de l’enceinte de la famille. Ils voyaient qu’en dehors d’elle il existait une société, des règles, des lois, des autels, des temples, des dieux. Sortir de la famille n’était donc plus pour eux un malheur sans remède. La tentation devenait chaque jour plus forte ; la clientèle semblait un fardeau de plus en plus lourd, et l’on cessait de croire que l’autorité du maître fût légitime et sainte. Il y eut alors dans le cœur de ces hommes un ardent désir d’être libres. Sans doute on ne trouve dans l’histoire d’aucune cité le souvenir d’une insurrection générale de cette classe. S’il y eut des luttes à main armée, elles furent renfermées et cachées dans l’enceinte de chaque famille. C’est là qu’il y eut, pendant plus d’une génération, d’un côté d’énergiques efforts pour l’indépendance, de l’autre une répression implacable. Il se déroula, dans chaque maison, une longue et dramatique histoire qu’il est impossible aujourd’hui de retracer. Ce qu’on peut dire seulement, c’est que les efforts de la classe inférieure ne furent pas sans résultats. Une nécessité invincible obligea peu à peu les maîtres à céder quelque chose de leur omnipotence. Lorsque l’autorité cesse de paraître juste aux sujets, il faut encore du temps pour qu’elle cesse de le paraître aux maîtres ; mais cela vient à la longue, et alors le maître, qui ne croit plus son autorité légitime, la défend mal ou finit par y renoncer. Ajoutez que cette classe inférieure était utile, que ses bras, en cultivant la terre, faisaient la richesse du maître, et en portant les armes, faisaient sa force au milieu des rivalités des familles, qu’il