Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/358

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centurion et son drapeau. Or il arriva qu’on eut la pensée de convoquer l’armée, sans que ce fût pour une expédition militaire. L’armée s’étant réunie et ayant pris ses rangs, chaque centurie ayant son centurion à sa tête et son drapeau au milieu d’elle, le roi parla, consulta, fit voter. Les six centuries patriciennes et les douze de cavaliers plébéiens votèrent d’abord, après elles les centuries d’infanterie de première classe, et les autres à la suite. Ainsi se trouva établie l’assemblée centuriate, où quiconque était soldat avait droit de suffrage, et où l’on ne distinguait presque plus le plébéien du patricien.[1]Toutes ces réformes changeaient singulièrement la face de la cité romaine. Le patriciat restait debout avec ses cultes héréditaires, ses curies, son sénat. Mais les plébéiens acquéraient l’habitude de l’indépendance, la richesse, les armes, la religion. La plèbe ne se confondait pas avec le patriciat, mais elle grandissait à côté de lui.

  1. Il nous paraît incontestable que les comices par centuries n’étaient pas autre chose que la réunion de l’armée romaine. Ce qui le prouve, c’est 1° que cette assemblée est souvent appelée l’armée par les écrivains latins ; urbanus exercitus, Varron, VI, 93 ; quum comitiorum causa exercitus eductus esset, Tite Live, XXXIX, 15 ; miles ad suffragia vocatur et comitia centuriata dicuntur, Ampélius, 48 ; 2° que ces comices étaient convoqués exactement comme l’armée, quand elle entrait en campagne, c’est-à-dire au son de la trompette (Varron, V, 91), deux étendards flottant sur la citadelle, l’un rouge pour appeler l’infanterie, l’autre vert foncé pour la cavalerie ; 3° que ces comices se tenaient toujours au Champ de Mars, parce que l’armée ne pouvait pas se réunir dans l’intérieur de la ville (Aulu-Gelle, XV, 27) ; 4° que chacun s’y rendait en armes (Dion Cassius, XXXVII) ; 5° que l’on y était distribué par centuries, l’infanterie d’un côté, la cavalerie de l’autre ; 6° que chaque centurie a ait à sa tête son centurion et son enseigne, ώσπερ έν πολέμω, Denys, VII, 59 ; 7° que les sexagénaires, ne faisant pas partie de l’armée, n’avaient pas non plus le droit de voter dans ces comices ; Macrobe, I, 5 ; Festus, v° depontani. On peut d’ailleurs remarquer que dans l’ancienne langue le mot classis signifiait corps de troupe. — Les prolétaires ne paraissaient pas d’abord dans cette assemblée ; pourtant comme il était d’usage qu’ils formassent dans l’armée une centurie employée aux travaux, ils purent aussi former une centurie dans ces comices.