Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

niveau du patriciat, cela n’entrait pas plus dans l’esprit du plébéien des premiers siècles que du patricien. Loin donc de réclamer l’égalité des droits et des lois, ces hommes semblent avoir préféré d’abord une séparation complète. Dans Rome ils ne trouvaient pas de remède à leurs souffrances ; ils ne virent qu’un moyen de sortir de leur infériorité, c’était de s’éloigner de Rome.

L’historien ancien rend bien leur pensée quand il leur attribue ce langage : Puisque les patriciens veulent posséder seuls la cité, qu’ils en jouissent à leur aise. Pour nous Rome n’est rien. Nous n’avons là ni foyers, ni sacrifices, ni patrie. Nous ne quittons qu’une ville étrangère ; aucune religion héréditaire ne nous attache à ce lieu. Toute terre nous est bonne ; là où nous trouverons la liberté, là sera notre patrie.[1] Et ils allèrent s’établir sur le mont Sacré, en dehors des limites de l'ager romanus.

En présence d’un tel acte, le Sénat fut partagé de sentiments. Les plus ardents des patriciens laissèrent voir que le départ de la plèbe était loin de les affliger. Désormais les patriciens demeureraient seuls à Rome avec les clients qui leur étaient encore fidèles. Rome renoncerait à sa grandeur future, mais le patriciat y serait le maître. On n’aurait plus à s’occuper de cette plèbe, à laquelle les règles ordinaires du gouvernement ne pouvaient pas s’appliquer, et qui était un embarras dans la cité. On aurait dû peut-être la chasser en même temps que les rois ; puisqu’elle prenait d’elle-même le parti de s’éloigner, on devait la laisser faire et se réjouir.

Mais d’autres, moins fidèles aux vieux principes ou plus soucieux de la grandeur romaine, s’affligeaient du départ de la plèbe. Rome perdait la moitié de ses soldats. Qu’allait-elle devenir au milieu des Latins, des Sabins, des Étrusques, tous ennemis ? La plèbe avait

  1. Denys, VI, 45 ; VI, 79.