Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/365

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la plèbe l’ait demandé. On convint seulement qu’à l’avenir la plèbe, constituée en une société à peu près régulière, aurait des chefs tirés de son sein. C’est ici l’origine du tribunat de la plèbe, institution toute nouvelle et qui ne ressemble à rien de ce que les cités avaient connu auparavant.

Le pouvoir des tribuns n’était pas de même nature que l’autorité du magistrat ; il ne dérivait pas du culte de la cité. Le tribun n’accomplissait aucune cérémonie religieuse ; il était élu sans auspices, et l’assentiment des dieux n’était pas nécessaire pour le créer.[1] Il n’avait ni siège curule, ni robe de pourpre, ni couronne de feuillage, ni aucun de ces insignes qui dans toutes les cités anciennes désignaient à la vénération des hommes les magistrats-prêtres. Jamais on ne le compta parmi les magistrats romains.

Quelle était donc la nature et quel était le principe de son pouvoir ? Il est nécessaire ici d’écarter de notre esprit toutes les idées et toutes les habitudes modernes, et de nous transporter, autant qu’il est possible, au milieu des croyances des anciens. Jusque-là les hommes n’avaient compris l’autorité que comme un appendice du sacerdoce. Lors donc qu’ils voulurent établir un pouvoir qui ne fût pas lié au culte, et des chefs qui ne fussent pas des prêtres, il leur fallut imaginer un singulier détour. Pour cela, le jour où l’on créa les premiers tribuns, on accomplit une cérémonie religieuse d’un caractère particulier.[2] Les historiens n’en décrivent pas les rites ; ils disent seulement qu’elle eut pour effet de rendre ces premiers tribuns sacro-saints. Or ce mot signifiait que le corps du tribun serait compté dorénavant parmi les objets auxquels la religion interdisait de toucher, et dont le seul contact faisait tomber l’homme en état de souillure.[3] De là

  1. Denys, X. Plutarque, Quest. rom., 84.
  2. Tite Live, III, 53.
  3. C’est le sens propre du mot sacer : Plaute, Bacch., IV, 6. 13 ; Catulle, XIV, 12 ; Festus, v° sacer ; Macrobe, III, Suivant Tite Live, l’épithète de sacrosanctus ne se serait pas d’abord appliquée au tribun, mais à l’homme qui portait atteinte à la personne du tribun.