Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/369

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Rien ne résistait aux hardiesses d’un tribun. Contre un tribun nul n’avait de force, si ce n’était un autre tribun.

Dès que la plèbe eut ainsi ses chefs, elle ne tarda guère à avoir ses assemblées délibérantes. Celles-ci ne ressemblèrent en aucune façon à celles de la cité patricienne. La plèbe, dans ses comices, était distribuée en tribus ; c’était le domicile qui réglait la place de chacun, ce n’était ni la religion ni la richesse. L’assemblée ne commençait pas par un sacrifice ; la religion n’y paraissait pas. On n’y connaissait pas les présages, et la voix d’un augure ou d’un pontife ne pouvait pas forcer les hommes à se séparer. C’étaient vraiment les comices de la plèbe, et ils n’avaient rien des vieilles règles ni de la religion du patriciat.

Il est vrai que ces assemblées ne s’occupaient pas d’abord des intérêts généraux de la cité ; elles ne nommaient pas de magistrats et ne portaient pas de lois. Elles ne délibéraient que sur les intérêts de la plèbe, ne nommaient que les chefs plébéiens et ne faisaient que des plébiscites. Il y eut longtemps à Rome une double série de décrets, sénatus-consultes pour les patriciens, plébiscites pour la plèbe. Ni la plèbe n’obéissait aux sénatus-consultes, ni les patriciens aux plébiscites. Il y avait deux peuples dans Rome.

Ces deux peuples, toujours en présence et habitant les mêmes murs, n’avaient pourtant presque rien de commun. Un plébéien ne pouvait pas être consul de la cité, ni un patricien tribun de la plèbe. Le plébéien n’entrait pas dans l’assemblée par curies, ni le patricien dans l’assemblée par tribus.[1]

  1. Tite Live, II, 60. Denys, VII, 16. Festus, v° scita plebis. Il est bien entendu que nous parlons des premiers temps. Les patriciens étaient inscrits dans les tribus, mais ils ne figuraient pas dans des assemblées qui se réunissaient sans auspices et sans cérémonie religieuse.