Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/374

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et leurs clients, mais non pour d’autres. Elles ne reconnaissaient pas le droit de propriété à celui qui n’avait pas de sacra ; elles n’accordaient pas l’action en justice à celui qui n’avait pas de patron. C’est ce caractère exclusivement religieux de la loi que la plèbe voulut faire disparaître. Elle demanda, non pas seulement que les lois fussent mises en écrit et rendues publiques, mais qu’il y eût des lois qui fussent également applicables aux patriciens et à elle.

Il paraît que les tribuns voulurent d’abord que ces lois fussent rédigées par des plébéiens. Les patriciens répondirent qu’apparemment les tribuns ignoraient ce que c’était qu’une loi, car autrement ils n’auraient pas exprimé cette prétention. Il est de toute impossibilité, disaient ils, que les plébéiens fassent des lois. Vous qui n’avez pas les auspices, vous qui n’accomplissez pas d’actes religieux, qu’avez-vous de commun avec toutes les choses sacrées, parmi lesquelles il faut compter la loi ? [1] Cette pensée de la plèbe paraissait monstrueuse aux patriciens. Aussi les vieilles annales, que Tite Live et Denys consultaient en cet endroit de leur histoire, mentionnaient-elles d’affreux prodiges, le ciel en feu, des spectres voltigeant dans l’air, des pluies de sang.[2] Le vrai prodige était que des plébéiens eussent la pensée de faire des lois. Entre les deux ordres, dont chacun s’étonnait de l’insistance de l’autre, la république resta huit années en suspens. Puis les tribuns trouvèrent un compromis : Puisque vous ne voulez pas que la loi soit écrite par les plébéiens, dirent-ils, choisissons les législateurs dans les deux ordres. Par là ils croyaient concéder beaucoup ; c’était peu à l’égard des principes si rigoureux de la religion patricienne. Le Sénat répliqua qu’il ne s’opposait nullement

  1. Tite Live, III, 31. Denys, X, 4.
  2. Julius Obsequens, 16.