Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/445

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que le législateur se propose est moins le perfectionnement de l’homme que la sûreté et la grandeur de l’association. La famille même est presque étouffée, pour qu’elle ne fasse pas concurrence à la cité ; l’État seul est propriétaire ; seul il est libre ; seul il a une volonté ; seul il a une religion et des croyances, et quiconque ne pense pas comme lui doit périr. Pourtant au milieu de tout cela, les idées nouvelles se font jour. Platon proclame, comme Socrate et comme les Sophistes, que la règle de la morale et de la politique est en nous-mêmes, que la tradition n’est rien, que c’est la raison qu’il faut consulter, et que les lois ne sont justes qu’autant qu’elles sont conformes à la nature humaine.

Ces idées sont encore plus précises chez Aristote. La loi, dit-il, c’est la raison. Il enseigne qu’il faut chercher, non pas ce qui est conforme à la coutume des pères, mais ce qui est bon en soi. Il ajoute qu’à mesure que le temps marche, il faut modifier les institutions. Il met de côté le respect des ancêtres : Nos premiers pères, dit-il, qu’ils soient nés du sein de la terre ou qu’ils aient survécu à quelque déluge, ressemblaient suivant toute apparence à ce qu’il y a aujourd’hui de plus vulgaire et de plus ignorant parmi les hommes. Il y aurait une évidente absurdité à s’en tenir à l’opinion de ces gens-là. Aristote, comme tous les philosophes, méconnaissait absolument l’origine religieuse de la société humaine ; il ne parle pas des prytanées ; il ignore que ces cultes locaux aient été le fondement de l’État. L’État, dit-il, n’est pas autre chose qu’une association d’êtres égaux recherchant en commun une existence heureuse et facile. Ainsi la philosophie rejette les vieux principes des sociétés, et cherche un fondement nouveau sur lequel elle puisse appuyer les lois sociales et l’idée de patrie.[1]

  1. Aristote, Politique, II, 5, 12 ; IV, 5 ; IV, 7, 2 ; VII, 4 (VI, 4).