Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/473

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les vaincus, ne pouvait pourtant pas souffrir que la société tombât en dissolution. En principe on les mettait en dehors du droit ; en fait ils vivaient comme s’ils en avaient un. Mais à cela près, et sauf la tolérance du vainqueur, on laissait toutes les institutions des vaincus s’effacer et toutes leurs lois disparaître. L’empire romain présenta, pendant plusieurs générations, ce singulier spectacle : une seule cité restait debout et conservait des institutions et un droit ; tout le reste, c’est-à-dire plus de cent millions d’âmes, ou n’avait plus aucune espèce de lois ou du moins n’en avait pas qui fussent reconnues par la cité maîtresse. Le monde alors n’était pas précisément un chaos ; mais la force, l’arbitraire, la convention, à défaut de lois et de principes, soutenaient seuls la société.

Tel fut l’effet de la conquête romaine sur les peuples qui en devinrent successivement la proie. De la cité, tout tomba : la religion d’abord, puis le gouvernement, et enfin le droit privé ; toutes les institutions municipales, déjà ébranlées depuis longtemps, furent enfin déracinées et anéanties. Mais aucune société régulière, aucun système de gouvernement ne remplaça tout de suite ce qui disparaissait. Il y eut un temps d’arrêt entre le moment où les hommes virent le régime municipal se dissoudre, et celui où ils virent naître un autre mode de société. La nation ne succéda pas d’abord à la cité, car l’empire romain ne ressemblait en aucune manière à une nation. C’était une multitude confuse, où il n’y avait d’ordre vrai qu’en un point central, et où tout le reste n’avait qu’un ordre factice et transitoire, et ne l’avait même qu’au prix de l’obéissance. Les peuples soumis ne parvinrent à se constituer en un corps organisé qu’en conquérant, à leur tour, les droits et les institutions que Rome voulait garder pour elle ; il leur fallut pour cela entrer dans la cité romaine, s’y faire une place, s’y presser,