Page:Fustel de Coulanges - La Cité antique, 1870.djvu/486

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commençaient à être quelque peu indépendants, c’est que les hommes cessaient d’avoir des croyances ; si la société n’était plus gouvernée par la religion, cela tenait uniquement à ce que la religion n’avait plus de force. Or il vint un jour où le sentiment religieux reprit vie et vigueur, et où, sous la forme chrétienne, la croyance ressaisit l’empire de l’âme. N’allait-on pas voir alors reparaître l’antique confusion du gouvernement et du sacerdoce, de la foi et de la loi ?

Avec le christianisme, non seulement le sentiment religieux fut ravivé, il prit encore une expression plus haute et moins matérielle. Tandis qu’autrefois on s’était fait des dieux de l’âme humaine ou des grandes forces physiques, on commença à concevoir Dieu comme véritablement étranger, par son essence, à la nature humaine d’une part, au monde de l’autre. Le Divin fut décidément placé en dehors de la nature visible et au-dessus d’elle. Tandis qu’autrefois chaque homme s’était fait son dieu, et qu’il y en avait eu autant que de familles et de cités, Dieu apparut alors comme un être unique, immense, universel, seul animant les mondes, et seul devant remplir le besoin d’adoration qui est en l’homme. Au lieu qu’autrefois la religion, chez les peuples de la Grèce et de l’Italie, n’était guère autre chose qu’un ensemble de pratiques, une série de rites que l’on répétait sans y voir aucun sens, une suite de formules que souvent on ne comprenait plus, parce que la langue en avait vieilli, une tradition qui se transmettait d’âge en âge et ne tenait son caractère sacré que de son antiquité, au lieu de cela, la religion fut un ensemble de dogmes et un grand objet proposé à la foi. Elle ne fut plus extérieure ; elle siégea surtout dans la pensée de l’homme. Elle ne fut plus matière ; elle devint esprit. Le christianisme changea la nature et la forme de l’adoration ; l’homme ne donna plus à Dieu l’aliment et le breuvage ; la prière ne