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JEAN RIVARD

Pierre Gagnon n’était pas insensible à l’amour de Françoise, et que c’est sur elle qu’il portait ses vues, lorsqu’en abattant les arbres de la forêt, il songeait au mariage.

Françoise était âgée d’environ vingt-cinq ans. Elle n’était ni belle ni laide. Elle avait une forte chevelure, des dents blanches comme l’ivoire : mais elle n’avait ni joues rosées, ni cou d’albâtre ; au contraire, son teint était bruni par le soleil, ses mains durcies par le travail, ses cheveux étaient assez souvent en désordre, car c’est à peine si la pauvre fille pouvait chaque matin consacrer cinq minutes à sa toilette. Exceptons-en toutefois les dimanches et les jours de fête où Françoise se mettait aussi belle que possible ; quoique sa taille fût loin d’être celle d’une guêpe, et que ses pieds n’eussent rien d’excessivement mignon, elle avait alors un air de santé, de propreté, de candeur, qui pouvait attirer l’attention de plus d’un homme à marier. Mais ce qui aux yeux des hommes sensés devait avoir plus de prix que toutes les qualités physiques, c’est qu’elle était d’une honnêteté, d’une probité à toute épreuve, industrieuse, laborieuse et remplie de piété. Ce que Jean Rivard et sa femme appréciaient le plus chez leur servante, c’était sa franchise ; elle ne mentait jamais. Par là même elle était d’une naïveté étonnante, et ne cachait rien de ce qui lui passait par le cœur ou par la tête. Louise s’amusait beaucoup de sa crédulité. Ne soupçonnant jamais le mensonge chez les autres, tout ce qu’elle entendait dire était pour elle parole d’évangile.

Elle était même superstitieuse à l’excès. Elle croyait volontiers aux histoires de revenants, de sor-