Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/255

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jeune frère ; car André n’avait point changé, et tel nous l’avons déjà vu dans l’incendie de la ferme d’Auvergne, tel il était encore à cette heure. Gardant sa présence d’esprit au milieu du danger, il avait d’abord aidé de son mieux les matelots à la manœuvre. Mais maintenant on ne devait plus songer qu’à opérer le sauvetage, car le navire était perdu : malgré les efforts du pilote Guillaume et ceux de l’équipage, il avait été précipité par le vent sur les dangereux rochers de la côte, et son flanc avait été si largement ouvert que de toutes parts on entendait l’eau entrer en bouillonnant dans la cale. Le bâtiment appesanti s’enfonçait peu à peu dans les flots, comme si une main invisible l’eût entraîné au fond de l’Océan.

Lorsque André arriva sur le pont du navire, il tenait toujours Julien dans ses bras. Il s’arc-bouta contre un mât, car les lames écumantes sautaient sur le pont et lui fouettaient les jambes avec assez de force pour le renverser. Le capitaine, jugeant qu’il n’y avait plus d’espoir et pas une minute à perdre, venait de commander de mettre la chaloupe à la mer. À la lueur des éclairs, on voyait les matelots courir en désordre. C’était un affolement général.

Bientôt quelques matelots s’écrièrent que l’embarcation était trop petite pour contenir tout le monde, d’autant plus que l’oncle Frantz et les deux enfants se trouvaient en sus de l’équipage habituel.

— Qu’on mette le canot à la mer, dit le capitaine.

Le petit canot du Poitou était une seconde embarcation beaucoup plus légère que la chaloupe, et si frêle qu’elle semblait ne pas pouvoir résister un instant aux vagues furieuses.

L’un des matelots s’approcha du capitaine, et d’une voix brève, hardie, pleine de révolte, en montrant le canot du doigt :

— Capitaine, dit-il, pas un homme de l’équipage ne montera là-dedans. La chaloupe peut à peine contenir l’équipage habituel du bâtiment ; vous avez pris en surplus le charpentier et ses deux neveux, ils sont de trop, c’est à eux de se servir du canot. Nous, nous avons droit à la chaloupe.

— Nous ne céderons la chaloupe à personne, répétèrent les autres voix des matelots.

Le capitaine essaya de protester, mais ses paroles furent