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premier venu et en lui donnant notre argent. Je crains bien que nous n’ayons à nous en repentir. Cet homme a l’air pris de vin.

Le petit Julien confus garda le silence.



XXX. — Le cabaret. — L’ivrognerie.


Les ivrognes sont un fléau pour leur pays, pour leur famille et pour tous ceux qui les entourent.


Le voiturier avait attaché son cheval à la porte de l’auberge, et sans plus s’occuper des enfants restés dans la carriole, il était allé s’attabler avec les gens qui buvaient. Bientôt, on entendit sa grosse voix se mêler aux cris et aux rires des ivrognes. Dans le cabaret, empesté par les vapeurs du vin et la fumée du tabac, c’était un tumulte assourdissant. À mesure que les verres se vidaient, les chants et les rires firent place aux disputes, et l’on voyait, à travers les carreaux blanchis, s’agiter en gesticulant les ombres des buveurs.

— Que mon père avait raison, s’écria André, de fuir les cabarets comme la peste ! Certes, notre conducteur serait bien mieux chez lui à cette heure, avec sa femme et ses enfants, que dans ce cabaret enfumé où il est en train de dépenser nos quinze sous.

— Et nous donc, ajouta Julien, nous serions bien mieux à Besançon !

— Le temps passait ; les bouteilles de vin se succédaient sur la table, et le voiturier ne sortait point de l’auberge : on eût dit qu’il se croyait au but de son voyage.

La pluie tombait à verse et coulait en ruisseaux bruyants sur la toile cirée de la voiture et sur les harnais du cheval. Le pauvre animal, de temps à autre, se secouait patiemment comme un être habitué depuis longtemps à tout subir.

André n’y tint plus. Il sortit de la carriole et, entrant dans l’auberge, il rappela au voiturier poliment, mais avec fermeté, l’heure qu’il était.

— Eh bien ! dit l’homme d’une voix avinée, si vous êtes plus pressé que moi, partez devant, vagabond.

André allait riposter avec énergie, mais l’aubergiste le tira par le bras.

— Taisez-vous, dit-il, cet homme est, à jeun, le plus doux