Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/18

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— Nous avons bien vu, monsieur le maire.

— Un tel crime, dans ma commune ! Enfin, vous avez bien fait de venir, je vais m’habiller en deux temps, et nous allons courir… C’est-à-dire, non, attendez.

Il parut réfléchir une minute et appela :

— Baptiste !

Le domestique n’était pas loin. L’oreille et l’œil alternativement collés au trou de la serrure, il écoutait et regardait de toutes ses forces. À la voix de son maître, il n’eut qu’à allonger le bras pour ouvrir la porte.

— Monsieur m’appelle ?

— Cours chez le juge de paix, lui dit le maire, il n’y a pas une seconde à perdre, il s’agit d’un crime, d’un meurtre peut-être, qu’il vienne vite, bien vite… Et vous autres, continua-t-il, s’adressant aux Bertaud, attendez-moi ici, je vais passer un paletot.

Le juge de paix d’Orcival, le père Plantat, comme on l’appelle, est un ancien avoué de Melun.

À cinquante ans, le père Plantat, auquel tout avait toujours réussi à souhait, perdit dans le même mois sa femme qu’il adorait et ses deux fils, deux charmants jeunes gens, âgés l’un de dix-huit, l’autre de vingt-deux ans.

Ces pertes successives atterrèrent un homme que trente années de prospérité laissaient sans défense contre le malheur. Pendant longtemps, on craignit pour sa raison. La seule vue d’un client, venant troubler sa douleur pour lui conter de sottes histoires d’intérêt, l’exaspérait. On ne fut donc pas surpris de lui voir vendre son étude à moitié prix. Il voulait s’établir à son aise dans son chagrin, avec la certitude de n’en point être distrait.

Mais l’intensité des regrets diminua et la maladie du désœuvrement vint. La justice de paix d’Orcival était vacante, le père Plantat la sollicita et l’obtint.

Une fois juge de paix, il s’ennuya moins. Cet homme, qui voyait sa vie finie, entreprit de s’intéresser aux mille causes diverses qui se plaidaient chez lui. Il appliqua