Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/204

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passion à la fois brûlante et discrète, que trahissaient certains regards jetés à la dérobée — et surpris — un mot, sa contenance dans un salon quand il entrait.

Si bien que tout le monde disait :

— La belle Berthe est folle de son mari.

C’était la conviction de Sauvresy, et il était le premier à dire, sans cacher la joie qu’il en éprouvait :

— Ma femme m’adore.

Telle était, exactement la situation des maîtres du Valfeuillu, lorsque Sauvresy recueillit à Sèvres, sur le bord de la Seine, le pistolet à la main, son ami Trémorel.

Ce soir-là, pour la première fois depuis son mariage, Sauvresy manqua le dîner après avoir promis d’arriver à l’heure, et se fit attendre.

Si incompréhensible était l’inexactitude, que Berthe eut dû être inquiète. Elle n’était qu’indignée de ce qu’elle appelait un manque absolu d’égards.

Même, elle se demandait quelle punition elle infligerait au coupable, lorsque sur les dix heures du soir, la porte du salon de Valfeuillu s’ouvrit brusquement. Sauvresy était sur le seuil, gai, souriant.

— Berthe, dit-il, je t’amène un revenant.

C’est à peine si elle daigna lever la tête, et encore sans perdre l’alinéa du journal qu’elle lisait. Sauvresy continuait :

— Un revenant que tu connais, dont je t’ai parlé bien souvent, que tu aimeras puisque je l’aime, et qu’il est mon plus vieux camarade, mon meilleur ami.

Et s’effaçant, il poussa Hector dans le salon, en disant :

— Madame Sauvresy, permettez-moi de vous présenter M. le comte Hector de Trémorel.

Berthe se leva brusquement, rouge, émue, agitée d’une émotion inexprimable, comme à une apparition effrayante. Pour la première fois de sa vie elle était confuse, intimidée, et n’osait lever ses grands yeux d’un bleu clair à reflets couleur d’acier.