Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/222

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Mais elle était en même temps exaspérée de ne lui voir aucun amour pour elle. Sa beauté n’était donc pas irrésistible, comme elle l’avait souvent entendu dire. Il était avec elle, empressé, galant même, mais rien de plus.

— S’il m’aimait, pensait-elle, non sans colère, hardi comme il l’est avec les femmes, ne redoutant rien ni personne, il me le dirait.

Et elle se prenait à détester cette femme — cette rivale — qu’il allait retrouver toutes les semaines à Corbeil. Elle eût voulu la connaître, la voir. Qui pouvait-elle être ? Était-elle bien belle ?

Hector avait été impénétrable au sujet de miss Fancy. Adroitement interrogé, il avait répondu très-vaguement, n’étant pas fâché de laisser l’imagination de Berthe s’égarer en suppositions qui ne pouvaient être que très-flatteuses pour lui.

Enfin, un jour arriva où elle ne sut plus résister aux obsessions de sa curiosité. Elle prit la plus simple de ses toilettes noires, jeta sur son chapeau un voile très-épais, et courut à la gare de Corbeil à l’heure où elle supposait que l’inconnue devait repartir.

Elle s’était établie dans la cour, sur un banc que dissimulaient deux lourds camions. Elle n’attendit pas longtemps.

Bientôt, à l’extrémité de l’avenue, qu’elle pouvait surveiller de sa place, elle vit s’avancer le comte de Trémorel et sa maîtresse. Ils se donnaient le bras et avaient l’air des plus heureux amoureux de la terre.

Ils passèrent à trois pas d’elle, et comme ils marchaient fort lentement, elle put examiner miss Fancy à son aise. Elle la trouva jolie et sans la moindre distinction.

Ayant vu ce qu’elle voulait voir, rassurée par cette certitude, prouvant son inexpérience, que Jenny, étant une fille de rien, n’était pas à craindre, Berthe ne songea plus qu’à se retirer bien vite.

Mais elle prit mal son temps ! Au moment où elle dépassait les voitures qui la cachaient, Hector sortait de la