Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/298

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le cinglant en plein visage, la fierté de Trémorel se révolta, à la fin.

— Tu n’as oublié qu’une chose, ami Sauvresy, s’écria-t-il, on peut mourir.

— Pardon, reprit froidement le malade, j’ai prévu le cas et j’allais vous en avertir. Si l’un de vous mourait brusquement avant le mariage, le procureur impérial serait prévenu.

— Tu te méprends ; j’ai voulu dire : on peut se tuer.

Sauvresy toisa Hector d’un regard outrageant.

— Toi, te tuer ! fit-il, allons donc ! Jenny Fancy, qui te méprise presque autant que moi, m’a éclairé sur la portée de tes menaces de suicide. Te tuer !… Tiens, voici mon revolver, brûle-toi la cervelle, et je pardonne à ma femme.

Hector eut un geste de rage, mais il ne prit pas l’arme que lui tendait son ami.

— Tu vois bien, insista Sauvresy, je le savais bien, tu as peur…

Et s’adressant à Berthe :

— Voilà ton amant, dit-il.

Les situations excessives ont ceci de bizarre que les acteurs y restent naturels dans l’exception. Ainsi, Berthe, Hector et Sauvresy acceptaient, sans s’en rendre compte, les conditions anormales dans lesquelles ils se trouvaient placés, et ils parlaient presque simplement, comme s’il se fût agi de choses de la vie ordinaire et non de faits monstrueux.

Mais les heures volaient, et Sauvresy sentait la vie se retirer de lui.

— Il ne reste plus qu’un acte à jouer, fit-il ; Hector, va appeler les domestiques, qu’on fasse lever ceux qui sont couchés, je veux les voir avant de mourir.

Trémorel hésitait.

— Va donc, veux-tu que je sonne, veux-tu que je tire un coup de pistolet pour attirer ici toute la maison !

Hector sortit.

Berthe était seule avec son mari ; seule !