Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/382

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— C’est entendu, monsieur.

— Mais vous savez, pas de tricherie ; je connais, pour l’avoir utilisé, le petit cabinet de votre chambre à coucher, d’où on ne perd pas un traître mot de ce qui se dit ici.

La première demoiselle ouvrit la porte du salon, il y eut un grand frou-frou de robe de soie glissant le long de l’huisserie, et miss Jenny Fancy parut dans sa gloire.

Hélas ! ce n’était plus cette fraîche et jolie Fancy qui avait aimé Hector, cette provocante Parisienne aux grands yeux, tour à tour langoureux ou enflammés, au fin minois, à la mine éveillée. Une seule année l’avait flétrie, comme un été trop chaud fane les roses, et avait sans retour détruit sa fragile beauté, beauté de Paris, beauté du diable. Elle n’avait pas vingt ans et il fallait l’œil d’un connaisseur pour reconnaître qu’elle avait été charmante, autrefois, quand elle était jeune.

Car elle était vieille comme le vice, ses traits fatigués et ses joues flasques disaient les désordres de sa vie, ses yeux cerclés de bistre avaient perdu leurs grands cils et déjà rougissaient et clignotaient ; sa bouche avait une lamentable expression d’hébétude, et l’absinthe et les refrains obscènes avaient brisé les notes si claires de sa voix.

Elle était en grande toilette, avec une robe neuve, éclatante et tachée, une immense cloche de dentelle et un chapeau invraisemblable. Pourtant elle avait l’air misérable. Enfin, elle était outrageusement « maquillée », toute barbouillée de rouge, de blanc et de bleu, de carmin et de crème de perles.

Elle paraissait fort en colère.

— Voilà une idée ! s’écria-t-elle dès le seuil sans songer à saluer personne, cela a-t-il le sens commun de m’envoyer chercher ainsi, presque de force, par une demoiselle qui est de la dernière insolence ?

Mais Mme  Charman s’était élancée vers son ancienne cliente, l’avait embrassée bon gré mal gré, et la pressait sur son cœur.