Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le père Plantat haussa les épaules.

— Je n’ai pas d’opinions, moi, répondit-il, je vis seul, je ne vois personne ; que m’importent toutes ces choses. Cependant…

— Il me semble, exclama M. Courtois, que nul mieux que moi ne doit connaître l’histoire de gens qui ont été mes amis et mes administrés.

— C’est qu’alors, répondit sèchement le père Plantat, vous la contez mal.

Et comme le juge d’instruction le pressait de s’expliquer, il prit sans façon la parole, au grand scandale du maire rejeté ainsi au second plan, esquissant à grands traits la biographie du comte et de la comtesse.

La comtesse de Trémorel, née Berthe Lechaillu, était la fille d’un pauvre petit instituteur de village.

À dix-huit ans, sa beauté était célèbre à trois lieues à la ronde, mais comme elle n’avait pour toute dot que ses grands yeux bleus et d’admirables cheveux blonds, les amoureux, — c’est-à-dire les amoureux pour le bon motif, — ne se présentaient guère.

Déjà Berthe, sur les conseils de sa famille, se résignait à coiffer sainte Catherine et sollicitait une place d’institutrice — triste place pour une fille si belle — lorsque l’héritier d’un des plus riches propriétaires du pays eut occasion de la voir et s’éprit d’elle.

Clément Sauvresy venait d’avoir trente ans ; il n’avait plus de famille et possédait près de cent mille livres de rentes en belles et bonnes terres absolument libres d’hypothèques. C’est dire que mieux que personne il avait le droit de prendre femme à son gré.

Il n’hésita pas. Il demanda la main de Berthe, l’obtint, et, un mois après, il l’épousait en plein midi, au grand scandale des fortes têtes de la contrée, qui allaient répétant :

— Quelle folie ! À quoi sert d’être riche, si ce n’est à doubler sa fortune par un bon mariage !

Un mois avant la noce, à peu près, Sauvresy avait mis les ouvriers au Valfeuillu, et, en moins de rien, il y avait