Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/55

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— Justes dieux ! pensait-il, quel audacieux et cynique brigand. Et dire qu’on est tous les jours exposé à introduire dans sa maison, en qualité de domestiques, de tels misérables !

Le juge d’instruction, lui, se taisait. Il sentait bien que Guespin était dans un de ces rares moments où, sous l’empire irrésistible de la passion, un homme s’abandonne, laisse voir jusqu’aux replis les plus profonds de sa pensée et se livre tout entier.

— Mais il est une chose, continua le malheureux, que mon dossier ne vous dira pas. Il ne vous dira pas que, dégoûté, jusqu’à la tentation du suicide, de cette vie abjecte, j’ai voulu en sortir. Il ne vous dira rien de mes efforts, de mes tentatives désespérées, de mon repentir, de mes rechutes. C’est un dur fardeau, allez, qu’un passé comme le mien. Enfin, j’ai pu reprendre mon état. Je suis habile, on m’a donné de l’ouvrage. J’ai occupé successivement quatre places, jusqu’au jour où, par un de mes anciens patrons, j’ai pu entrer ici. Je m’y trouvais bien. Je mangeais toujours mon mois d’avance, c’est vrai… Que voulez-vous, on ne se refait pas. Mais demandez si jamais on a eu à se plaindre de moi…

Il est reconnu que parmi les criminels les plus intelligents, ceux qui ont reçu une certaine éducation, qui ont joui d’une certaine aisance, sont les plus redoutables. À ce titre, Guespin était éminemment dangereux.

Voilà ce que se disaient les auditeurs, pendant qu’épuisé par l’effort qu’il venait de faire, il essuyait son front ruisselant de sueur.

M. Domini n’avait pas perdu de vue son plan d’attaque.

— Tout cela est fort bien, dit-il ; nous reviendrons en temps et lieu sur votre confession. Il s’agit pour le moment de donner l’emploi de votre nuit et d’expliquer la provenance de l’argent trouvé en votre possession.

Cette insistance du juge parut exaspérer Guespin.

— Eh ! répondit-il, que voulez-vous que je vous dise ! La vérité ?… vous ne la croirez pas. Autant me taire. C’est une fatalité.