Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/69

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je viens, je puis sortir, on ne me dira plus rien, ou si j’interroge on me répondra mille mensonges, on se défiera de moi, on aura des réticences.

— C’est assez juste, objecta M. Plantat venant au secours de l’agent de la sûreté.

— Donc, poursuivit M. Lecoq, quand on m’a dit, là-bas : c’est en province, j’ai pris ma tête de province. J’arrive, et tout le monde, en me voyant, se dit : « Voilà un bonhomme bien curieux, mais pas méchant. » Alors, je me glisse, je me faufile, j’écoute, je parle, je fais parler ! j’interroge, on me répond à cœur ouvert ; je me renseigne, je recueille des indications ; on ne se gêne pas avec moi. Ils sont charmants, les gens d’Orcival, je me suis déjà fait plusieurs amis, et on m’a invité à dîner pour ce soir.

M. Domini n’aime pas la police et ne s’en cache guère. Il subit sa collaboration plutôt qu’il ne l’accepte, uniquement parce qu’il ne peut s’en passer. Dans sa droiture, il condamne les moyens qu’elle est parfois forcée d’employer, tout en reconnaissant la nécessité de ces mêmes moyens.

En écoutant M. Lecoq, il ne pouvait s’empêcher de l’approuver, et cependant il le regardait d’un œil qui n’était rien moins qu’amical.

— Puisque vous savez tant de choses, lui dit-il sèchement, nous allons procéder à l’examen du théâtre du crime.

— Je suis aux ordres de monsieur le juge d’instruction, répondit laconiquement l’agent de la sûreté.

Et comme tout le monde se levait, il profita du mouvement pour s’approcher du père Plantat et lui tendre sa bonbonnière.

— Monsieur le juge de paix en use-t-il ?

Le père Plantat ne crut pas devoir lui refuser, il avala un morceau de jujube et la sérénité reparut sur le front de l’agent de la sûreté. Il lui faut, comme à tous les grands comédiens, un public sympathique, et vaguement il sentait qu’on allait travailler devant un amateur.