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Il vint ce lendemain qu’elle redoutait et qu’elle souhaitait.

Jusqu’à deux heures, elle compta les heures. Après, elle compta les minutes.

Enfin, au moment où sonnait la demie de deux heures, la porte du salon s’ouvrit et un domestique annonça :

— Monsieur le marquis de Clameran.

Mme  Fauvel s’était promis de rester calme, froide même. Pendant sa dure insomnie de la nuit, elle s’était efforcée de prévoir et d’arranger à l’avance toutes les circonstances de cette pénible entrevue. Même, elle avait songé aux paroles qu’elle prononcerait, elle devait dire ceci, puis cela…

Mais, au moment suprême, son énergie la trahit, une émotion affreuse la cloua sur son fauteuil, sans voix, sans idées.

Lui, cependant, après s’être respectueusement incliné, restait debout au milieu du salon, immobile, attendant.

C’était un homme de cinquante ans, à la moustache et aux cheveux grisonnants, au visage triste et sévère, ayant grand air et portant avec distinction ses vêtements noirs.

Remuée d’inexprimables sensations, frissonnante, madame Fauvel le considérait, cherchant sur son visage quelque chose des traits de l’homme qu’elle avait aimé jusqu’à l’abandon de soi-même, de cet amant qui avait appuyé ses lèvres sur les siennes, qui l’avait pressée contre sa poitrine, dont elle avait eu un fils.

Et elle s’étonnait de ne rien trouver chez l’homme mûr de l’adolescent dont le souvenir avait hanté sa vie… non, rien…

À la fin, comme il ne bougeait pas, d’une voix expirante, elle murmura :

— Gaston !

— Mais lui, secouant tristement la tête, répondit :

— Je ne suis pas Gaston, madame. Mon frère a succombé aux douleurs et aux misères de l’exil ; je suis Louis de Clameran.