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Il est vrai que le château de La Verberie eût suffi à bien des ambitions.

Plus modeste que le manoir de Clameran le joli castel de La Verberie a de moins fières apparences et de moins hautes prétentions.

Mais il est de dimensions raisonnables, commode, bien aménagé, discret, et facile pour le service comme la petite maison d’un grand seigneur.

C’est d’ailleurs au milieu d’un vaste parc qu’il ouvre au soleil levant ses fenêtres sculptées.

Une merveille pour le pays, que ce parc, qui s’étend de la route de Beaucaire jusqu’au bord du fleuve ; une merveille, avec ses grands arbres, ses charmilles, ses bosquets, sa prairie et son clair ruisseau qui la traverse d’un bout à l’autre.

Là vivait, toujours se plaignant et maudissant la vie, la comtesse de La Verberie.

Elle n’avait qu’une fille unique, alors âgée de dix-huit, ans, nommée Valentine, blonde, blanche, frêle, avec de grands yeux tremblants, belle à faire tressaillir dans leur niche les saints de pierre de la chapelle du village où elle allait tous les matins entendre la messe.

Même, le renom de sa beauté, porté sur les eaux rapides du Rhône, s’était étendu au loin.

Souvent les mariniers, souvent les robustes haleurs qui poussent leurs puissants chevaux moitié dans l’eau, moitié sur le chemin de halage, avaient aperçu Valentine, assise, un livre à la main, à l’ombre des grands arbres, au bord de l’eau.

De loin, avec sa robe blanche, avec ses beaux cheveux demi-flottants, elle semblait à l’imagination de ces rudes et braves gens comme une apparition mystérieuse et de bon augure. Et souvent, entre Arles et Valence il avait été parlé de la jolie petite fée de La Verberie.

Si M.  de Clameran détestait la comtesse, Mme  de La Verberie exécrait le marquis. S’il l’avait surnommée la Sorcière, elle ne l’appelait jamais que le vieil étourneau.

Et cependant, ils étaient nés pour se comprendre,