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La vieille, à ce nom, se dressa comme au contact d’une pile électrique. Elle sembla vouloir parler ; un regard de son tyran renfonça les mots dans sa gorge. C’est d’un air égaré qu’elle obéit, et revint avec une bouteille et trois verres, qu’elle déposa sur la table.

Puis, elle reprit sa place près du foyer, oubliant d’écouter pour regarder le marquis.

Était-ce là, vraiment, cette grosse et réjouie Mihonne, qui avait été la confidente de la petite fée de La Verberie ?

Valentine elle-même n’eût point reconnu cette pauvre vieille si ratatinée, flétrie et ridée comme une rainette à Pâques, plus décharnée et plus tordue qu’une branche de bois mort.

Ceux-là seuls qui ont habité la campagne savent ce que les années, la misère aidant, peuvent faire d’une femme.

Le marché, cependant, se débattait entre Joseph et Fougeroux. Le marchand de biens offrait un prix dérisoire, n’achetant, disait-il, que pour démolir et revendre les matériaux. Joseph, lui, énumérait les poutres et les solives, les moellons, les ferrures, sans compter ie terrain.

Pour Mihonne, la présence du marquis était un de ces événements qui changent l’existence.

Si jusqu’alors la fidèle servante n’avait pas dit un mot des secrets confiés à sa probité, ils ne lui en avaient pas moins semblé lourds à porter.

Mariée, misérable jusqu’à souhaiter la mort, elle s’en prenait, non à elle-même, mais à tout et à tous de ses malheurs. Superstitieuse à l’excès, elle faisait remonter l’origine de ses infortunes au serment prêté pendant la messe sur les évangiles.

N’ayant pas d’enfant, après en avoir ardemment désiré, elle se persuadait que Dieu l’avait frappée de stérilité pour la punir d’avoir prêté les mains à l’abandon d’un pauvre petit innocent.

Souvent elle avait pensé qu’en révélant tout, elle apai-