Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/471

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eût peut-être pas trouvé une larme répandue pour un malheur réel.

Quoi ! sa femme le trompait, et avait-elle choisi précisément, entre tous, un homme vil à ce point qu’il s’était emparé des bijoux qu’elle possédait, et qu’il avait abusé de son ascendant pour la contraindre à devenir complice d’un vol qui perdait un innocent !…

Car c’était bien là ce que disait la dénonciation anonyme.

M. Fauvel fut d’abord terrassé, autant qu’un malheureux qui, au moment où il doit le moins s’y attendre, reçoit sur le crâne un coup de massue. Toutes ses idées bouleversées tourbillonnèrent dans le vide, au hasard, comme les feuilles d’un arbre, en automne, aux premières rafales de l’ouragan.

Il lui semblait qu’autour de lui tout n’était que ténèbres, et qu’un mortel engourdissement paralysait son intelligence.

Mais au bout de quelques minutes la raison lui revint.

— Quelle lâche infamie ! s’écria-t-il, quelle honteuse abomination !…

Et froissant la lettre maudite, la roulant rageusement entre ses mains, il la jeta dans sa cheminée, sans feu en ce moment, en murmurant :

— Je n’y veux plus penser. Je ne salirai pas mon imagination à ces turpitudes !…

Il disait cela ; bien plus, en le disant il le pensait, et cependant il ne put prendre sur lui de continuer le dépouillement de son courrier.

C’est que le soupçon, pareil à ces vers imperceptibles qui se glissent dans les fruits mûrs, sans laisser de trace de leur entrée, et les gâtent intérieurement, le soupçon, quand il a pénétré dans un cerveau, y grandit, s’y établit et n’y laisse intacte aucune croyance.

Accoudé à son bureau, M. Fauvel réfléchissait, faisant d’inutiles efforts pour recouvrer son calme, la lucidité de son esprit.