Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 1.djvu/7

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Il avait abondamment neigé les jours précédents, et le dégel commençait. Partout où la circulation avait été un peu active, il y avait un demi-pied de boue. Il faisait encore froid cependant, un froid humide à transir jusqu’à la moelle des os. Avec cela le brouillard était si intense que le bras étendu on ne distinguait pas sa main.

— Quel chien de métier ! grommela un des agents.

— Oui, répondit l’inspecteur qui commandait la ronde, je pense bien que si tu avais seulement trente mille francs de rentes, tu ne serais pas ici.

Le rire qui accueillit cette vulgaire plaisanterie était moins une flatterie qu’un hommage rendu à une supériorité reconnue et établie.

L’inspecteur était, en effet, un serviteur des plus appréciés à la Préfecture, et qui avait fait ses preuves.

Sa perspicacité n’était peut-être pas fort grande, mais il savait à fond son métier et en connaissait les ressources, les ficelles et les artifices. La pratique lui avait, en outre, donné un aplomb imperturbable, une superbe confiance en soi et une sorte de grossière diplomatie, jouant assez bien l’habileté.

À ces qualités et à ces défauts, il joignait une incontestable bravoure.

Il mettait la main au collet du plus redoutable malfaiteur aussi tranquillement qu’une dévote trempe son doigt dans un bénitier.

C’était un homme de quarante-six ans, taillé en force, ayant les traits durs, une terrible moustache, et de petits yeux gris sous des sourcils en broussailles.

Son nom était Gévrol, mais le plus habituellement on l’appelait : Général.