Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/444

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Une distance de deux ou trois cents pas séparait les groupes formés autour des deux litières.

Furieux de voir les bords du lac occupés de nouveau, Costal s’était élancé de ce côté, et, arrachant à l’un des Indiens la torche qu’il portait, poussa vivement son cheval vers le brancard.

À la vue d’un cavalier qui arrivait sur eux, la figure enflammée de colère, la bride entre les dents, tenant d’une main une torche et de l’autre une épée encore toute sanglante, les porteurs du brancard, épouvantés, le laissèrent brusquement tomber par terre et s’enfuirent à toutes jambes. Un cri étouffé se fit entendre du fond de la litière, dont le capitaine, qui avait suivi Costal, s’empressa d’écarter les rideaux. À la lueur de la torche du Zapotèque, apparut une figure pâle et souillée de sang. Don Cornelio reconnut aussitôt le jeune Espagnol, victime de la férocité d’Arroyo et de la cupidité de son lâche associé. Le mourant, en voyant Costal, tressaillit, et d’une voix presque éteinte :

« Oh ! ne me faites pas de mal, dit-il ; j’ai si peu de temps à vivre ! »

Lantejas fit signe à Costal de s’éloigner, et par des paroles affectueuses calma les craintes du malheureux jeune homme.

« Merci, merci ! lui dit celui-ci ; puis, tournant vers lui des regards suppliants : « Ne l’avez-vous pas vue ? » ajouta-t-il.

Ces mots furent un trait de lumière pour don Cornelio ; le fantôme fuyant de l’hacienda de San Carlos et la blanche apparition dans les roseaux du lac ne furent plus à ses yeux qu’une seule et même malheureuse créature ; deux fois il avait vu, vivante encore, celle que l’Espagnol ne devait plus sans doute revoir que morte. L’esprit tout troublé des récents événements de la nuit, craignant d’ailleurs de rendre plus amers les derniers moments du moribond, don Cornelio ne savait que répondre.