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En quoi cela le touchait-il ? En rien assurément. N’était-elle pas libre d’aimer qui elle voulait ? Oui, libre comme l’air ; ce n’est pas lui qui lui contesterait ce droit ; non, il ne lui faisait qu’un reproche : pourquoi se cacher de sa sœur, de cette amie si sûre, qui l’aurait aidée, guidée, soutenue ?

Oh ! si Hélène pouvait savoir que, ce soir même… Mais non, elle ne le saurait pas, il ne le lui dirait pas. Oh ! comme son cœur saignerait si elle pouvait se douter que ces yeux bleus ne disaient pas toute la vérité, que cette bouche mignonne, qui l’embrassait passionnément, à chaque instant du jour, s’était laissée… ce soir même !…

Eh bien, oui, cela lui faisait de la peine, quoi d’étonnant ? C’est toujours triste de s’être trompé, d’être déçu dans son attente. Comme Hélène, il avait cru à la naïveté de cette fillette, à l’innocence de ce gai sourire, à la candeur de ses yeux bleus ; et, sans le vouloir, à son insu, il lui avait fait une place dans sa vie, bien petite d’abord, par reconnaissance, en voyant sa sœur si heureuse. Et puis, de la gratitude, il avait passé à l’amitié, oui, à l’amitié, quoi d’étonnant encore ?

Mais, comme celui qui a longtemps pris plaisir à voir scintiller une pierre précieuse, et qui, soudain, découvre qu’elle est imitée, il n’en avait plus de joie.

Il tira sa montre.

— Déjà minuit.

Il se leva, jeta un coup d’œil autour de lui, s’assura qu’il laissait tout en ordre et quitta son cabinet.

Quelques heures plus tard, il ouvrit doucement la porte de sa chambre à coucher et monta l’escalier.