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TATERLEY
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Caleb poussa doucement la grille et entra en chancelant dans la petite allée, ses yeux ardemment fixés sur elle, en s’écriant :

— Ma chère petite, ma chère petite !

Et il tomba à ses pieds comme une loque humaine.

L’exclamation de surprise d’Ella avait été entendue de Donald. Il arriva en courant et, le portant dans ses bras, il remmena dans le petit salon embaumé par les fleurs.

Caleb revint bientôt à lui, mais, sans répondre à leurs questions, il se contentait de tenir les mains de sa chère petite dans les siennes et de répéter : Ma chère enfant ! ma chère enfant !

Voyant combien il était faible et malade, Donald le porta à travers les escaliers et le mit au lit.

Mais alors même, les yeux de Caleb cherchaient la présence d’Ella.

Donald et Ella arrivèrent pourtant, malgré ses divagations, à en tirer quelques renseignements et à comprendre comment il était venu là, combien de jours il avait mis à les retrouver.

Le médecin de campagne qu’ils avaient fait appeler l’examina, se demandant quel degré de parenté ce vieillard pouvait avoir avec les jeunes gens.

— Ce malheureux vieillard est actuellement usé par les privations et l’épuisement. Un homme de cet âge est incapable de supporter de telles fatigues. Il ne tient qu’à un souffle, c’est certain.

Il ne le quittèrent plus après ce diagnostic.

Ella restait près de lui durant ses heures de fièvre. Dans son plus fort délire, quand il criait que quelque chose lui retenait les jambes, qu’il ne pouvait pas se sauver, Ella, avec une phrase : « Mon cher Taterley » avait le pouvoir de le tranquilliser et de le ramener à l’apaisement.

Un après-midi, Caleb se réveilla guéri de son délire. Donald s’avança vers le lit.

— Eh bien, mon vieux Taterley, ça va mieux, hein ?

Caleb ne répondit pas, il fixa les yeux sur Donald comme pour se rappeler quelque chose. Ses lèvres s’agitaient et Donald se pencha sur lui.

— Elle est mieux ? guérie ? demanda-t-il d’une voix faible.

— Tout à fait bien, grâce à Dieu, merci. Elle a des roses sur ses joues.

— Et… heureuse ?…

— Douce petite créature, oui, nous avons oublié tous nos chagrins, Taterley. Caleb le regarda d’un air interrogateur.

— Oui, dit Donald en lui faisant signe en souriant. Nous avons trouvé une fortune, mon vieux, nous vous raconterons ça quand vous serez bien portant.

Donald s’étira en gonflant sa poitrine.

— Par Jupiter ! tout sera parfait quand vous serez guéri, Taterley.

Mais le désir de lutter avait abandonné Caleb. Malgré tous leurs efforts, il s’éteignait lentement, il allait leur échapper. Ella maintenant était toujours avec lui.

Il avait travaillé, combattu et rusé, il avait supporté la fatigue, la faim, pour elle et il avait enfin sa récompense dans le sourire encourageant de ses yeux.

Ils le trouvèrent plus fort, un jour qu’il les supplia de l’habiller et de le laisser descendre. C’était un caprice, un instinct survivant du vieux Caleb.

Donald l’habilla, le fit descendre et l’installa dans une chaise profonde, près de la fenêtre d’où il pouvait voir le jardin.

Comme Donald le mettait dans sa chaise, Caleb le prit, attira son visage contre le sien.

— Promettez-moi quelque chose, lui dit-il tout bas.

— Tout ce que vous voudrez, Taterley.

— Promettez-moi que vous m’enterrerez comme ça, Donald, dans mes habits. Ne dérangez rien autour de moi, promettez.