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HISTOIRE DU CANADA.

représentait ses intérêts, et redouter un changement qui aurait appelé les Canadiens au partage du pouvoir exécutif et de toutes ses faveurs dont ils étaient presque totalement exclus.

Chaque jour prouvait davantage leur situation exceptionnelle. Québec et Montréal venaient d’être incorporés pour l’administration de leurs affaires locales. Le conseil de Québec se trouvant composé en majorité de Canadiens, passa des réglemens en français et les présenta, suivant la loi, aux tribunaux pour les faire confirmer. Les juges refusèrent de les recevoir, parce qu’ils n’étaient pas en Anglais. C’était renier la légalité de la langue française. Cette proscription inattendue donna dans l’état des esprits de nouvelles armes aux partisans d’une réforme radicale. On la regarda comme une violation du traité de 1763. L’assemblée doit décider, disaient les journaux, si l’on peut se jouer ainsi de la foi engagée entre deux nations.

Cependant M. Neilson voyant l’entraînement de la majorité et ne voulant pas suivre M. Papineau jusqu’à l’extrémité, s’était séparé de lui depuis quelque temps. Plusieurs Canadiens, membres marquans de la chambre, en avaient fait autant, comme MM. Quesnel, Cuvillier, Duval, et quelques autres. Ces hommes éclairés dont l’expérience et le jugement avaient un grand poids, reconnaissaient bien la justice des prétentions de la majorité, mais ils craignaient de risquer ce qu’on avait déjà obtenu. Lord Goderich avait fait des concessions et des réformes dont l’on devait lui tenir compte si l’on faisait attention aux préjugés enracinés du peuple anglais contre tout ce qui était français et catholique. Plus tard à mesure que l’on parviendrait à détruire ces préjugés, l’on demanderait la continuation de ces réformes, et la puissance croissante des États-Unis dont il fallait que l’Angleterre pesât les conséquences tout anglo-saxons qu’ils étaient, aiderait fortement à la rendre juste à notre égard. M. Bedard, père, M. Neilson et M. Papineau étaient les trois hommes d’état les plus éminens qu’eussent encore eus le Canada. La séparation de MM. Neilson et de M. Papineau, était un vrai malheur pour le pays. L’éloquence, l’enthousiasme de l’un étaient tempérés par le sang froid et les calculs de l’autre, dont l’origine ne permettait point le même emportement contre l’infériorité dans laquelle on voulait tenir les Canadiens français. Tous deux avaient l’âme