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HISTOIRE DU CANADA

ou dispersé à Four Corners, sur l’extrême frontière près du lac Champlain. Il ne restait plus qu’un point à soumettre sur la rive gauche, St.-Eustache. Depuis quelques jours il y avait beaucoup d’agitation dans le comté des Deux-Montagnes. On y avait fait des tentatives inutiles de soulèvement. Le Dr. Chénier et Armury Girod, Suisse depuis quelques années en Canada, en étaient les principaux chefs. Ils s’emparèrent des fusils et d’une pièce de canon qu’il y avait au village des Sauvages puis marchèrent avec leurs hommes sur St.-Eustache, où ils prirent le couvent de force et s’y retranchèrent. Le curé, M. Paquin, M. Scott, membre de la chambre, M. Eméry Feré, voulurent vainement les persuader d’abandonner leur entreprise ; leurs discours n’eurent d’influence que sur leurs suivans, auxquels M. Desèves, vicaire de St.-Eustache, lut une proclamation qu’avait publiée sir John Colborne. Vaincus par leur conseil, ils abandonnèrent tous le camp et s’en retournèrent chez eux, ne laissant qu’un jeune homme au couvent. D’autres, cependant, venant du Grand-Brûlé et d’ailleurs les remplacèrent, et pendant plusieurs jours il y eut de quatre à quinze cents hommes vivant à discrétion dans le village, mais presque tous sans armes. C’est sur ces entrefaites qu’arriva la nouvelle de l’affaire de St.-Charles et de la dispersion des rebelles dans le sud. Croyant cette occasion favorable, M. Paquin invita le Dr. Chénier au presbytère et le pressa de nouveau de renoncer à ses dangereux projets. Tous ceux qui étaient présens, ecclésiastiques et séculiers, se joignirent à lui pour lui faire les mêmes instances en lui mettant sous les yeux toute l’inutilité de son entreprise et toutes les conséquences funestes qui devaient en résulter ; mais ce fut en vain. Chénier prétendit que les nouvelles de St.-Charles étaient fausses ; qu’il venait d’apprendre par un courrier que les patriotes étaient vainqueurs dans le sud, et il ajouta que pour lui sa résolution était inébranlable, qu’il était déterminé à mourir les armes à la main. Malgré son opiniâtreté cependant on s’aperçut qu’il ne pouvait surmonter une profonde émotion, et que de temps en temps de grosses larmes s’échappaient de ses yeux et coulaient sur son visage malgré ses efforts pour les retenir. N’ayant pu le dissuader de son dessein, le bon curé se vit obligé de s’éloigner et d’abandonner sa maison et l’église aux rebelles. Beaucoup de familles étaient déjà parties ou partaient