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de la côte ne peut guère l’apercevoir. Tunis, Bizerte, Sousse font oublier Carthage, Hippone, Hadrumète, dont elles ont pris la place et pillé les ruines. Leur population bariolée, cosmopolite, absorbe l’attention et ne permet pas de songer à ceux qui ont vécu avant elle sur le même sol. Mais pour peu que le voyageur, après avoir parcouru la côte tunisienne, veuille examiner ce que cache ce premier décor si séduisant, le spectacle change bientôt.

A mesure que l’on s’avance dans l’intérieur du pays et que l’on s’éloigne des grandes artères, il semble que l’on remonte en même temps le cours des âges. La population européenne, dernière venue, disparaît la première ; les petites villes, construites au XVIIe siècle par les Maures chassés d’Espagne, les Andleuss, dans la région d’Utique, le cap Bon, la vallée de la Medjerda et le Sahel, s’espacent de plus en plus ; l’on a bientôt dépassé les dernières agglomérations urbaines des Arabes sédentaires, après quoi l’on ne trouve plus devant soi que des ravins sauvages dévastés par les oueds, ou de grandes plaines arides que l’Arabe nomade traverse sans s’arrêter.

Or, c’est précisément dans ces solitudes de la Tunisie centrale qu’apparaissent, à chaque pas, les ruines les plus grandioses. Ces régions d’où la vie semble s’être retirée à jamais étaient chargées jadis d’opulentes cités. Toutes ces villes mortes ont fleuri à la même époque : leur naissance coïncide avec l’établissement de la domination romaine en Afrique, leur apogée avec le temps de sa plus grande puissance, leur ruine avec son déclin. Cette évolution s’accomplit tout entière en quelques siècles ; elle n’a pas de lendemain ; rien ne la suit, rien ne la précède. C’est un brillant épisode entre deux néants.