Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/172

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l’allée à l’autre, ou pénétraient familièrement dans les chambres par quelque vitre brisée. — Ce n’était pas, comme dans le Nord, la tristesse d’une maison déserte, mais la gaieté folle et la pétulance heureuse de la nature du Midi livrée à elle-même ; en l’absence du maître, les végétaux exubérants se donnaient le plaisir d’une débauche de feuilles, de fleurs, de fruits et de parfums : ils reprenaient la place que l’homme leur dispute.

Lorsque le commodore — c’est ainsi qu’Alicia appelait familièrement son oncle — vit ce fourré impénétrable et à travers lequel on n’aurait pu s’avancer qu’à l’aide d’un sabre d’abattage, comme dans les forêts d’Amérique, il jeta les hauts cris et prétendit que sa nièce était décidément folle. Mais Alicia lui promit gravement de faire pratiquer de la porte d’entrée au salon et du salon à la terrasse un passage suffisant pour un tonneau de malvoisie, — seule concession qu’elle pouvait accorder au positivisme avunculaire. — Le commodore se résigna, car il ne savait pas résister à sa nièce, et en ce moment, assis vis-à-vis d’elle sur la terrasse, il buvait à petits coups, sous prétexte de thé, une grande tasse de rhum.

Cette terrasse, qui avait principalement séduit la jeune miss, était en effet fort pittoresque, et mérite une description particulière, car Paul d’Aspremont y reviendra souvent, et il faut peindre le décor des scènes que l’on raconte.