Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/221

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se penchait vers lui ; — ce n’était pas Haydée, mais Alicia, plus belle encore que l’être imaginaire créé par le poète. La jeune fille faisait de vains efforts pour tirer sur le sable le corps que la mer voulait reprendre, et demandait à Vicè, la fauve servante, une aide que celle-ci lui refusait en riant d’un rire féroce : les bras d’Alicia se fatiguaient, et Paul retombait au gouffre.

Ces fantasmagories confusément effrayantes, vaguement horribles, et d’autres plus insaisissables encore, rappelant les fantômes informes ébauchés dans l’ombre opaque des aquatintes de Goya, torturèrent le dormeur jusqu’aux premières lueurs du matin ; son âme, affranchie par l’anéantissement du corps, semblait deviner ce que sa pensée éveillée ne pouvait comprendre, et tâchait de traduire ses pressentiments en image dans la chambre noire du rêve.

Paul se leva brisé, inquiet, comme mis sur la trace d’un malheur caché par ces cauchemars dont il craignait de sonder le mystère ; il tournait autour du fatal secret, fermant les yeux pour ne pas voir et les oreilles pour ne pas entendre ; jamais il n’avait été plus triste ; il doutait même d’Alicia ; l’air de fatuité heureuse du comte napolitain, la complaisance avec laquelle la jeune fille l’écoutait, la mine approbative du commodore, tout cela lui revenait en mémoire enjolivé de mille détails cruels, lui noyait le cœur d’amertume et ajoutait encore à sa mélancolie.