Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/228

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esprit et le confirmaient dans la triste opinion qu’il avait prise de lui-même.

Il remonta sa vie année par année : il se rappela sa mère morte en lui donnant le jour ; la fin malheureuse de ses petits amis de collège, dont le plus cher s’était tué en tombant d’un arbre, sur lequel lui, Paul, le regardait grimper ; cette partie de canot si joyeusement commencée avec deux camarades, et d’où il revenu seul, après des efforts inouïs pour arracher des herbes les corps des pauvres enfants noyés par le chavirement de la barque ; l’assaut d’armes où son fleuret, brisé près du bouton et transformé ainsi en épée, avait blessé si dangereusement son adversaire, — un jeune homme qu’il aimait beaucoup : — à coup sûr, tout cela pouvait s’expliquer rationnellement, et Paul l’avait fait ainsi jusqu’alors ; pourtant, ce qu’il y avait d’accidentel et de fortuit dans ces événements lui paraissait dépendre d’une autre cause depuis qu’il connaissait le livre de Valetta : l’influence fatale, le fascino, la jettatura, devaient réclamer leur part de ces catastrophes. Une telle continuité de malheurs autour du même personnage n’était pas naturelle.

Une autre circonstance plus récente lui revint en mémoire, avec tous ses détails horribles, et ne contribua pas peu à l’affermir dans sa désolante croyance.

À Londres, il allait souvent au théâtre de la