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les canines séparées et pointues brillaient d’une blancheur féroce ; Alicia, d’un coup de paupière rapide, sembla poser à son ami une question qui resta sans réponse.

Un silence gênant s’établit.

Les premières minutes d’une visite même cordiale, familière, attendue et renouvelée tous les jours, sont ordinairement embarrassées. Pendant l’absence, n’eût-elle durée que quelques heures, il s’est reformé autour de chacun une atmosphère invisible contre laquelle se brise l’effusion. C’est comme une glace parfaitement transparente qui laisse apercevoir le paysage et que ne traverserait pas le vol d’une mouche. Il n’y a rien en apparence, et pourtant on sent l’obstacle.

Une arrière-pensée dissimulée par un grand usage du monde préoccupait en même temps les trois personnages de ce groupe habituellement plus à son aise. Le commodore tournait ses pouces avec un mouvement machinal ; d’Aspremont regardait obstinément les pointes noires et polies des cornes qu’il avait défendu à Vicè d’emporter, comme un naturaliste cherchant à classer, d’après un fragment, une espèce inconnue ; Alicia passait son doigt dans la rosette du large ruban qui ceignait son peignoir de mousseline, faisant mine d’en resserrer le nœud.

Ce fut miss Ward qui rompit la glace la première, avec cette liberté enjouée des jeunes filles